L’incroyable aventure du « fou bagarreur »!

Le premier char : le défi

Par Philippe Castiaux.

On peut être passionné de vieilles mécaniques, ou avoir des boulons dans le sang, c’est comme on veut. Mais elles existent, ces « expériences insolites », qui font qu’après quelques années on se dit « fallait vraiment être cinglé », ou « I made it ! »
Je vais vous raconter la mienne, exubérante, bruyante, très marquante, par le début et avec la manière humoristique. Je le ferai en plusieurs épisodes, car j’ai tellement de choses savoureuses à vous écrire que j’aurai du mal à mettre tout sur une page.

Saviez-vous que la Force Aérienne compte dans ses matériels au chapitre armement un engin qui ne volera jamais et qui est capable de vous envoyer des pruneaux de 90mm à des kilomètres, avec la précision chirurgicale que permet son viseur laser ? Eh bien oui, et cet engin insensé deux fois plus lourd qu’un mirage 5, sur une base où l’on est censé trouver des avions de chasse, a non seulement suscité la jalousie de beaucoup, mais surtout relevé un défi relevant plus de la gaudriole sympathique, que d’un exercice de déploiement entre deux escadrilles de pilotes ! Merci de me prêter ce clin d’œil amusant ma foi dans ce contexte, c’est pour la petite histoire que je vais vous raconter, dans laquelle votre serviteur n’y a pas été qu’innocent, je vous le confesse !

En 1985, le jeune c. . que j’étais du haut de mes 22 ans accomplit son service militaire comme candidat officier, à la FAé. D’accord, allez, je suis moins jeune maintenant. Le hasard a voulu qu’une décision de dernière minute dans les affectations d’unité me fasse préférer Bierset à Florennes. Soit. Grand classique des classiques, les candidats officiers de réserve sont doffice coincés dans les rôles de garde. Ma foi, cela a l’avantage de nous permettre de parcourir la base, et les alentours la nuit, à la chasse aux rôdeurs et autres voitures suspectes qui ont les vitres embuées… de l’intérieur. Sisi, on en trouve! On parcourt aussi les quartiers des pilotes, les hangars de maintenance et autres ateliers, et comme toujours, on s’y fait des amis, puisque parfois le soir on devait faire la fermeture des 39 coins buvettes que la base comptait alors. Bref, on visite, quoi!

Et comme je logeais au mess off, ben on lie des sympathie, au point d’aller me servir moi-même dans les cuisines, sous les couvercles des marmites, ou bien au point de faire croire aux cuistot que les spaghettis poussaient dans la pelouse avec échantillon à l’appui. Mais çà c’est une autre histoire. J’ai donc lié sympathie avec quelques pilotes, liés à la 1ère escadrille de chasseurs bombardiers, les « stingers », ce qui a son importance.

Début juillet 1985, je venais d’avoir été commissionné Sous-lieutenant COR, il y a et plus de 20 ans, je patrouille en milieu de journée dans les quartiers de la première escadrille, l’escadrille à l’emblème du chardon ! Je décide d’arrêter mon véhicule, un machin cubique à roues presque encore rondes qui s’appelle « kubbelwagen » VW, à hauteur d’un monstre au repos, que je connaissais de loin ! La « chose » lààà m’appelle, irrésistiblement! Un énoooorme tank, un char de combat des années 1950, est là, en figure de proue devant les quartiers de l’escadrille, mais avec hélas la mine bien déconfite, certes ! Oufti, qué n’afféére ! Le char est un M47 Patton, de 1955. Equipé d’une visée laser à double optique, il paraît que la précision de tir belge surclassait de loin celles des autres armées OTAN de l’époque, équipées même de chars plus perfectionnés…. Pour avoir « joué » avec ce système, encore opérationnel à l’époque, je peux vous dire que c’est impressionnant de finesse dans les réglages!

Curieux parce que passionné de mécanique, et animé d’une force incontrôlable, le genre de pulsion de gosse de merde qui ne se commande pas, je grimpe dessus, et mes miliciens et moi laissons aller notre curiosité. Et de voir dans la tourelle pour se rendre compte qu’il est à peine démonté, et de voir le poste de conduite, pour s’apercevoir qu’il est à gauche, et aussi presqu’opérationnel. En apparence, héhé, tout n’est qu’apparence, qu’y disait ! Dieu que c’est beau ! Puis bien sûr, c’est plus fort que moi, mes miliciens pouvaient aller danser la java, il me fallait savoir, et ouvrir les trappes du couvercle moteur. Là, ce fut le nirvana, le paradis sur terre, le fumer la moquette sans l’allumer. Même en ne levant qu’une des trappes, je découvrais comme un bébé dans son landau. Un magnifique moteur V12 CONTINENTAL de 30 litres de cylindrée, refroidi par air. Selon une plaquette rivetée, la boite de vitesse automatique à deux vitesses avant et une arrière, avec freins intégrés, avait été révisée par la SABENA en 1965. Par contre, la rouille et l’action des intempéries avaient transformé tout le carénage interne du moteur, les radiateurs d’huiles, les connexions, tuyaux divers en caoutchouc en un amas de rouille presque difforme. Mais il était là, complet, en léthargie ! Sur le flanc de sa tourelle, on pouvait lire son nom de baptême « Bagarreur ». Il était prédestiné.

A ce moment précis, je ne l’oublierai jamais, un pilote est sorti des quartiers par la porte-fenêtre du bar, il s’agissait de feu le Capitaine aviateur Michel Duvivier « big moustaches », qui se crashera fatalement quelques années après avec son avion. Et il m’a raconté leur délire à tous, les pilotes, à propos de ce char. Et c’est comme cela qu’un voile m’a été levé sur les complots inavouables qui se tramaient dans les bars des escadrilles de Bierset, tous relevant fort heureusement de la gaudriole sympathique sur le fond, mais de quelle envergure ! J’ai pu largement comprendre qu’il n’y a vraiment que là que cela se passe comme çà. Re-oufti!

Ce char est arrivé là, propriété de la première esc on ne sait pas trop comment, il ne faut pas trop savoir comment devrais-je dire. Toujours est-il que depuis le début des années 70, il est là, immobile, disposé devant leurs quartiers sur un petit socle garni de gravier, toujours fier même si l’emprise du temps gâche un peu sa silhouette. Enfer et damnation, shit and corruption, l’autre escadrille, la huitième, celle dont l’emblème est une cocotte en papier et dont les quartiers sont à 1.5 kms de là à l’autre bout de la piste, jalouse à en baver pareil emblème. Pensez-vous, elle n’a même pas un n’avion ! Autrement dit, vous imaginez le contexte, l’ambiance est toujours du genre la cordiale entente mais chacun chez soi ! Et le char est là, objet de toutes les attentions très charmantes des « z’autres ». Un jour de son insolite histoire, notre char a changé de sexe ! Oui monsieur, changé de sexe ! Notre affaire fièrement pointée vers le ciel s’est trouvée peinte en rose, d’un bout à l’autre, de haut en bas, blague qui fit rire à gorges déployées ces gamins ! . Zou. Mais pas l’état-major ! Imaginez un pareil bazar sur un terrain d’aviation militaire, sur lequel les AWACS viennent faire des touch-and-go, çà fait pas très…comment dire, NATO DEFENSE ! Donc, repeinturlurage en kaki illico-presto sur ordre formel et militaire et bien sûr…. . héhé, vengeance ! Ben voyons ! Et il fallait au moins faire aussi bien. La 1ère ne pouvait pas se permettre une déculottée pareille sans réagir ! Cela devait se laver dans le sang!

Et plus tard, par un beau jour inondant la campagne de rayons de soleils bienfaiteurs, m’a-t-on dit, on a cru entendre dans les casques de la tour de contrôle les jurons les pires qu’il soit possible de proférer : les pilotes comme du reste tout autre pilote civil ou militaire passant en avion dans la zone… venaient de voir qu’était peint un énorme phallus sur le toit de leur quartier ! Quand j’écris énorme, il faut comprendre pas petit, quoi ! L’affront était vengé ! Quant à l’état-major, je crois qu’il avait abandonné le rôle d’arbitre ! Stingers one point!

Et puis de blague en grimaces amères, l’escalade amena le défi. Forts d’une hypothétique victoire anticipée par abandon, les « zautres », ceux de la 8ème escadrille qui ont la cocotte en papier pour emblème, ont alors lancé la sentence suivante, qui me fut rapportée par mon ami le capitaine Duvivier ce fameux jour de juillet ’85 : « si la première escadrille arrivait à mettre le canon du char dans la fenêtre du bureau du commandant de la huitième, cette dernière payait le champagne à toute l’escadrille ». je rappelle que les bureaux de la 8ème étaient distants d’un bon 1.5 km!

Ben oui, il a fallu que je m’en mêle, ben non, je pouvais pas résister. C’est là que le flash est arrivé, l’éclair de folie ou le coup de génie ! . À partir de ce moment-là, je vivais canon, je mangeais canon, je dormais canon. L’objectif était la fenêtre, cette fenêtre-là. Je vous rassure, il a eu juste le temps de l’ouvrir, sa fenêtre ! KO au premier round, en piqué, à fond. Le chardon a piqué la poulette ! Et sans rien casser sivouplé ! La messe était dite. Oufti, qué guinze, e’m’bit!

Le Capitaine Duvivier de la première escadrille de chasse tous temps, me dit donc le défi à tenir, et me permet de rencontrer alors les responsables de l’escadrille, pour avoir plus amples détails sur l’affaire ! Et moi tout de suite d’avoir l’idée de dire que si le moteur n’est pas bloqué, ben ma foi on peut le refaire tourner!

Ben tiens, mais je t’en prie, vas-y essaye ! C’est en somme ce qui s’est dit sans trop de conviction, comme si j’avais demandé à peindre la piste avec un pinceau à un poil.
Merci Mon Bon Major ! Donc, ‘y n’a plus qu’à foque.

Première étape, vérifier un brin l’état cardiaque ! Cela a été vite fait. On a eu vite dégagé l’accès aux hélices de refroidissement, et ce machin-là n’ayant pas beaucoup de compression, en faisant tourner l’une des deux, on a entendu le pouf-pouf caractéristique des coups de compression dans les soupapes et les chambres ! soupir de soulagement et quel contentement! Ouais gaillard ! Il n’y a pas qu’y à foq’à ! poursuivons l’état des lieux. La rouille a fait beaucoup de dégâts. Énormément. Ma foi, ben on changera tout ce qui est putréfié. Mais dans le cockpit, là, c’est plus important : le moteur hydraulique qui actionne la tourelle est déposé, et tout le circuit électrique à l’entrée du tableau de bord est sectionné net ! Ach, Sabotache ! hé oui, car apparemment, certains se sont aussi arrangés pour qu’on aie quelques difficultés supplémentaires à le relever, ce défi, ben oui, les fils ne se sont pas coupés tout seul, tiens ! …. Comme c’est gentil tout plein ! Le sport, quoi!

Puis ben et alors Castiaux est arrivé, aussi sur son cheval noir comme Zorro ! En effet, pendant mon service, je me véhiculais avec ma petite moto 50cc, noire. Je logeais au mess officier, chez moi quoi tant on était bien avec les cuistots, Anecdote justement. On était si bien avec eux, nous les COR logeant sur place, que le soir, il n’était pas rare que je choisisse mon menu directement dans les cuisines, en goûtant directement dans les casseroles et en faisant causette avec les cuistots. Voilà qu’un soir, je soulevai d’un geste gourmand le couvercle d’une casserole, ou marmite, ou devrais-je dire….citerne de sauce bolognaise bouillonnante de saveur pour y plonger une cuiller et en piquer une lampée aussitôt avalée. Misère que ce fût bon ! ben oui. Mais heureusement qu’elle était avalée, car elle aurait vite pris un goût amer, quand soudain mon chef de corps apparut comme sorti de sa lampe par la porte du restaurant, comme un trouble-fête inattendu (nooon, c’était pas un génie… enfin si, mais non, disons pas un comme çà, quoi ! ! ! ). J’aurais voulu disparaître instantanément, me volatiliser à la seconde, pffft, ou m’évaporer dans mes bottines s’il n’avait pas ri de m’avoir surpris. Bonsoirrrr Colonel ! Tiens, une autre…. Un autre soir, nous avions mordicus demandé au cuistot un plat de spaghettis, sachant bien qu’il n’en avait plus. Mais siii, il y en a, il suffit d’aller les cueillir dehors ! ?! ? Nous avions préalablement planté une boite de spaghettis dans 1m² de la pelouse sous les fenêtres de la cuisine ! Passons sur mes frasques pour poursuivre les aventures.

Donc, le zorro de la mécanique qui ressemblait plus à Don Castillo sur son solex qu’à un officier en service avait ramené de Mons ses outils « made in GB », et attaque le morceau. Comme je venais d’être commissionné sous-lieutenant, et que la nouvelle session COR avait assuré la relève, j’avais le champ libre par mes supérieurs pour œuvrer à la bonne tenue de l’entente cordiale entre nos escadrilles.

Seconde étape donc, la documentation. Yesssss ! un beau bouquin, en anglais. Traduction, recherche des renseignements techniques, conversion des mesures et cotes, déchiffrage des schémas, prises de notes, comparaison avec les éléments « en vrai », et tout le tutim. Bref, je commençais à m’installer dans les quartiers des pilotes, j’y étais comme chez moi. Bar à volonté, hips, grignotte à volonté, burp, mignonne la cuistôt. J’étais si bien, qu’à un moment j’ai tenu le bar en lieu et place du personnel attitré ! et le bar était garni bien évidemment de la mitrailleuse Point50 du char, la fameuse « Souff ». Et j’ai servi des pintes à un général reçu par mon chef de corps ! Sitôt pintes servies…. fissa au revoirrrr mon Colonel, au revoirrr mon Général ! Le lendemain, au rapport pour savoir ce que je faisais là. Le colo était dégrisé ! Mais char oblige, c’est passé au bleu ! J’étais le seul officier milicien à jouir d’une telle facilité d’entrée dans les quartiers des pilotes, sauf les bunkers, et je crois que je n’ai jamais été que le seul...

Maintenant que le bouquin a livré ses secrets, y avait plus qu’à. Troisième opération donc, dépose du moteur. C’est parti. Je ne me suis jamais auparavant couché sous un char en ramping sur le dos pour défaire des boulons. Encore moins sous un char partiellement enfoncé dans le sol. Impressionnant. Quand je pense que les Allemands faisaient cet exercice sous un char qui roulait…. Restez groupir, qu’ils disaient!!!

A ce moment là, j’ai commencé à vraiment intéresser les pilotes, parce qu’ils commençaient à croire que c’était vraiment possible qu’un con peut-être pas si con s’attaque à l’irréalisable.

ZUT ! mais il faut une grue, que diable ! Pas de problèmes, les pilotes ont beaucoup de copains!!! Autorisation de la tour de contrôle pour déployer la FAUN de 5 tonnes car vu sa flèche, il fallait éviter de gratter un avion…par en dessous…, je rappelle que nous sommes juste à 20 mètres des Taxi tracks de la base ! . Aussitôt dit, aussitôt fait. Opération à cœur ouvert, on dépose le capot en un seul bloc, le moteur était là. On a commencé à poser tout un peu partout autour du « site ». Tout se déboulonnait quand même assez bien, puisque la taille de la quincaillerie allait plutôt vers le « gros » que les boulons d’horlogerie fine. Et avec l’aide du livre bien étudié, on sort le little jo, moteur-groupe électrogène interne. Peu après cette fois avec la grue de 20 tonnes, à la limite de bloquer les vols d’avions vu sa flèche de 15 mètres, le moteur principal sortait, apparaissant à nos yeux émerveillés lentement, brun de rouille, pantelant de fils électriques déchirés et de tôles chancelantes. Alors là, déjà que l’activité autour de ce char commençait à éveiller quelques souçonneuses curiosités, quand « big-one » est sorti rouge de rouille, le contr’espionnage se mit en place, au point très sérieusement que nous avions peur d’un éventuel sabotage. L’outillage et les pièces importantes étaient mis en lieu sûr tous les soirs! Puis il a fallu transporter sous très bonne escorte avec MP et armes (exactement vrai) le monstre au repos, vers un endroit sûr, inviolable, gardé, jalousé. Le clark m’a déposé cela (quand même, 3 tonnes…) purement et simplement dans le hangar de maintenance des armes des avions, dans la zone bien sûr dans les attributions de la première escadrille. Il y avait à côté de moi des racks de lance-rockets… vides, bien sûr. Un soupcon de Rambo et Schwarzie façon … « Apocastiaux Now » ! Même pas peur!

Alors là, bien sûr, dépose de tout ce qui était abîmé, ou ,purement parfois il était plus facile de ramasser à la petite cuiller les résidus. Bougies, magnétos, boosters, radiateurs, tôleries diverses, circuits électriques, etc… tout y est passé. Puis fallut chercher les pièces. Qui a dit Rambo ???? Héhé ! Y sont fous ces pilotes ! Planning des opérations, que dis-je, du commando ! Quelques coups de fils aux copains à l’arsenal de Rocourt, et hop, une petite visite sur place et nous voilà revenus avec des batteries, des fils de bougies, et quelques bricoles. Puis on a tourismé un peu à l’arsenal, et franchement, la fameuse aléseuse-fraiseuse Pégard (chut ! ) est impressionnante ! J’veux pas y mettre mon doigt ! Un petit tour dans la casse de char léopard, mais plus rien de M47 là-bas. Retour. On a quand même appris une chose, c’est qu’à Geel dans le Limbourg il y a un dépôt dans lequel on trouve encore des pièces. Donc enfourchant mon solex amélioré, me voilà sur place en reconnaissance. Chance inespérée de-nom-di-djap-di-non-di-djap, le commandant du dépôt est un Montois. J’ai oublié son nom. Devinez alors…. Mais oui m’biau, vas-y voir et regarde ce qu’il te faut. À perte de vue, des M47 démilitarisés MAIS avec leurs moteurs dont des neufs, et Ô surprise, à côté d’eux, des SHERMAN dépanneurs alignés, complets, complètement badigeonnés à la graisse ! Si, peints à la graisse ! J’étais à messe ! Malheureusement, je ne pouvais pas faire un échange de moteur, c’était un peu « gros » et verboten ! Par contre feu vert pour prendre des pièces. Doooonc, nouvelle opération de magasinage, avec un pilote et un mini camion bâché pour la discrétion, vide à l’aller. Pas au retour. J’avoue maintenant, je crois qu’au moins 4 chars M47 auront eu des problèmes inexpliqués de mise en route ou hydrauliques, quand il aura fallu les déplacer…. L’humidité, sans doute, la vétusteté, un défaut de lubrification peut-être...

Nous voilà donc revenus avec cette manne céleste, et les travaux continuent. Je refabrique les faisceaux des fils des 24 bougies blindées, je nettoie les carburateurs et surtout les étouffoirs tout rikiki. Ces quatre pièces coupaient les arrivées d’essence aux gicleurs pour arrêter le moteur. Cela se remonte, petit à petit, et l’espoir vient de mettre en route, ou de mise à feu, parce qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer.

Tout le circuit électrique du char, saboté sympathiquement a été refait, d’après des plans que j’avais pu extraire de manière simplifiée du livre. J’ai passé quelques heures et un peu plus là dessus, à répertorier les fils tous heureusement bien numérotés, retrouver les bons bouts, démonter les sertissages des blocs-prises, etc. On a aussi décidé de simplifier. Une seule pompe à essence suffirait, on ne raccorderait pas les réservoirs du véhicule, peu sûrs, et on se servirait d’une nourrice. J’ai comme cela aussi sillonné toute la base, tous les ateliers, pour me refaire telle ou telle pièce, voir tel ou tel bonhomme qui pouvait me conseiller. On me connaissait tellement que je pouvais aller et venir à ma guise. J’en ai profité, imaginez, je mangeais parfois des tartines avec les mécaniciens-avions sous un avion démonté ou en servicing ! S’ils n’avaient pas été si accueillants et sympa, je crois que je n’aurais pas su y arriver…. Merci à eux !

Puis il a fallu remettre le moteur en place. Ah bien sûr, avec les réparations électriques et tout ce que j’avais réparé, j’avais la foi… et quand même les foies. Oui, tout le circuit électrique fonctionnait, phares, intercom, visée laser, commandes, interrupteurs, même le percuteur électrique du canon. Un beau jouet quoi. A priori cela va fonctionner. Cela doit même, il faut que cela fonctionne.

De nouveau grue de 20 tonnes, et le cœur descendit dans son berceau. Quel cortège de curieux! ! ! De partout, on venait voir. Ben tiens, il avait changé un peu d’apparence, il était redevenu un peu plus « moteur ». Et pourtant il y avait encore des tas de trucs à faire, mais bon, tout le monde se disait que maintenant, comme on le remettait dedans, c’est que c’était bien parti.

Là vous pouvez me croire, comme le défi était d’aller mettre la bouche du canon dans la fenêtre du commandant de l’autre escadrille contre guindaille générale au champagne offerte, je pense que c’est à ce moment là que décision fût prise collégialement d’investir dans le champagne. Pas dans des bouteilles, pas non plus dans des fûts, mais sans doute directement en prenant des parts chez un viticulteur, pasqu’à c’que j’pense, une guinze pareille çà se prépare bien. Et dieu sait (votre serviteur aussi, ôôô oui…. ) que pour une guinze, c’en fût une qu’on oublie pas. Alors là, parole ! un cul-sec de 33cl dans une chope en étain 98%, çà déménage sec, non mouillé, bref je sais plus ! ! !

Bref, le bébé est prêt à pousser ses premiers cris. Beaucoup de gens tournent autour du char, le photographe de la 1ère mitraille tout le temps, les sous-offs viennent voir, et les pilotes demandent quand les essais auront lieu, parce que ma date de démob approche.

Ben pour essayer, il faut du carburant, pensez-vous, pour alimenter les deux carburateurs Stromberg chacun de la taille d’une boite à chaussure. Et comme on ne parlait pas encore d’écolo autant qu’aujourd’hui, on n’a pas roulé au pétrole brut ni au gazole, ni à l’essence, mais disons que je crains que certains véhicules et avions de chasse (les mirage eux aussi on participé…) aient dû rentrer des fiches de consommations… comment dire, un peu anormales en octobre 1985…. , il a dû faire froid sans doute, l’hiver a dû être précoce...

En effet, pour ne pas trop éveiller les soupçons des autorités en charge des dépôts et des pompes à essences de la base, nous avons eu l’idée de composer un carburant à l’indice d’octane le plus proche possible de celui requis, soit environ vers les 40/50 d’indice. Le kérozène est vers les 110, pas mal, le mazout vers les 40, l’essence militaire on le sait, vers les 92. Nous avons donc fait une « collecte » de ce précieux liquide un peu partout. Ce que les R4 ont consommé, c’est fou ! Votre serviteur a donc pondu un savant mélange, en définitive rose genre grenadine. Et çà a marché ! Le mélange était rose, oui, mais quand çà a démarré, les pilotes étaient noirs d’huile!!!

En effet, les essais de démarrage ont été durs, imaginez les circuits d’allumages dédoublés, donc 24 bougies, et 4 magnétos dont toutes avaient perdus leurs boosters. Il en fallait de l’énergie aux 4 grosses batteries ! ! ! il nous a fallu pas mal de tentatives pour que çà prenne, d’abord quelques bougies sur les 24, çà veut prendre, une explosion, on sait pas où mais on s’en fout, puis quelques autres en plus, puis encore et encore comme cela, avec aussi quelques aérosols de startpilot. Puis tout d’un coup, vroum, parti d’emblée ! D’un seul coup, sans prévenir personne ! Le bruit, la fumée ! ! ! ! Imaginez, un pareil monstre qui se remet à cracher de partout après plus de 15 ans de mauvais traitement, et là, sans échappement ! STOOOOOOOOOOP, m’a-t-on crié aussitôt, arrête ! ! ! ! En urgence j’ai coupé les magnétos et les fuel cut-off et je sors de mon cockpit comme sur un siège éjectable ! Ah, ils étaient beaux les pilotes ! ! ! Tous s’étaient mis derrière le char, près du moteur, et mal leur en a pris. Lors du démarrage en trombe, les deux radiateurs d’huile de la taille d’une pile de trois casiers de bière chacun ont purement éclaté sous la pression, et leurs hélices de refroidissement ont pulvérisé l’huile vers l’arrière par les grandes ouïes de visite, ouvertes forcément ! Je ne me souviens plus de qui a ri...

Enfin, c’était déjà énorme comme victoire, cela tournait. Nous avons encore bichonné la bête, les autres ont compris qu’il fallait commander le champagne, et dans le plus grand secret nous avons pu préparer la manœuvre de l’assaut, que dis-je l’abordage final. Oui mais, il y a plus de 15 ans que les chenilles n’ont pas bougé, elles sont bien loin de leur état neuf, et enfoncées dans le gravier de bien 10 cms, alors casseront ? casseront pas ??? Que nenni, nous avons pulvérisé dessus plus ou moins 400 litres d’huile de vidange pour, comment dire, laisser pénétrer… ! Pas d’écolo dans la salle ???

Vint le grand jour, le 29 octobre 1985 ! Cela devait fonctionner, et cela va fonctionner ! ! ! Il fallait que la huitième soit écrasée.

Cela ne pouvait pas capoter si près du but, parce que ma démob était prévue le surlendemain. On risquera de faire en définitive tout le trajet aller-retour (3 kms) sans radiateur d’huile, ni moteur ni boîte, j’avais ponté les entrées et sorties. Tout était prévu pour que cela se fasse tôt le matin, vers les 07h30, histoire que le char y aille discrètement, genre opération commando d’assaut. Tous les pilotes étaient là, même ceux en récups, les mécanos, les sous-offs. Et chance, le brouillard était aussi là. Dense, opaque, typiquement londonien, voire Sheakspearien pour dissimuler le forfait !

Malheureusement, l’humidité était là aussi, pas seulement dans les gosiers, mais dans les vis platinées et les magnétos. Qu’à cela ne tienne, on va sécher tout cela et on recommence après midi, vers les 16h. Tant pis pour tout, on fonce!

Et là, votre serviteur aux commandes a été pour quelques instants le plus heureux sur cette terre. Démarrer ? il a ! ! ! Bouger ? Il a ! ! ! Porter les pilotes et leur étendard ?? Il l’a fait, avec la mitrailleuse P50 « Souff » fièrement posée sur son affût de tourelle, drainant tout autour de lui un cortège de curieux admiratifs. Ceux qui se dirigeant vers la sortie de la base faisaient demi-tour pour gonfler les rangs de l’armée en marche vers la fenêtre du bureau de notre ami le Major Waldeyer, lequel ne s’est rendu compte de rien, mais alors vraiment de rien, sauf au moment où in extremis son assistant a ouvert la fenêtre pour n’y laisser passer que la bouche du canon, pour le baiser endiablé tant défié!

1st Squadron, twelve points!

Le lendemain matin, j’étais fier, le genre de fierté qui vous met les tripes dans tous les sens. Arrivée obligée en premier lieu, avant d’aller voir mes supérieurs directs, chez les pilotes, dieu que c’était bon. Et la caresse à la bête, revenue maintenant majestueusement sur son socle, calme, elle a donné son dernier soupir. J’ai su qu’elle n’avait plus jamais démarré. Quelle renomée ! ! ! Dès l’ouverture de toutes les infrastructures militaires du pays, tant force aérienne que terrestre que navale, partout on a immédiatement su que le char avait roulé! Partout, tout le monde a su qu’il avait relevé le défi dans un succès total ! Cela s’est même dit en direct dans les casques des pilotes depuis la tour de contrôle, qui à l’époque avait vue sur toute la base. Une trainée de poudre, un coup de canon. J’étais trop jeune pour en mesurer la portée et l’apprécier à sa juste valeur, mais je crois que cela a dû être quelque chose d’énooorme, vraiment.

Le lendemain soir, j’avais accompli mon service militaire, je rentrais chez moi en civil. Quelle épopée!

Il faut que vous sachiez qu’en novembre 1985, il se trouve que soudainement, la base de Bierset s’est trouvée en pénurie d’eau, plus rien n’était distribué nulle part ! Il a fallu beaucoup de travail de recherche paraît-il, pour trouver l’origine du problème : quasiment à quelques mètres à peine du « socle » du char, là où il était resté pendant toutes ces années immobile, se trouvait enterré un petit « bunker » dans lequel étaient toutes les grandes vannes du réseau de distribution d’eau. Alors imaginez, le char descend de son socle, fait quelques mètres, et 44 tonnes, çà pèse…. Toute l’ossature de la sale était écrasée, et les vannes, ben...

Enfin, à ce moment-là, je ne savais pas que 10 ans plus tard, je lui ferais encore du bouche-à-bouche

L’incroyable aventure du « fou bagarreur »! Le second char : l’incendie

Par Philippe Castiaux.

Dans la première partie, je vous racontais ce qui s’est passé avec ce vieux char à Bierset, en 1985. Ce char était un Patton M47, fort mal en point. Cette seconde histoire, la seconde pour moi, est moins « humoristique » que l’autre, le contexte est tout à fait différent. Disons simplement qu’elle est moins « rocambolesque ». Comme je l’écrivais plus avant, les pilotes ont beaucoup d’Amis, et d’ « amis » aussi. Par des arrangements que je ne peux décrire, il se trouve qu’en 1987, singulièrement, l’adjudant « Pipine » (Depinewaert) qui avait pris soin de la bête comme de sa chope, a été chargé de comment dire, couver un autre bébé. En effet, par un truchement ou un tour de passe-passe, l’ancien char que j’avais refait tourner disparut des écrans radars, évaporé, volatilisé, et comme le Phoenix, de ses cendres apparut aussi instantanément un splendide M47 tout neuf, superbe, beau comme un camion tout neuf, immatriculé 53092 ! ! ! ben voui, celui-là même ! ! ! Lors d’un meeting à Bierset à cette époque, j’ai eu l’immense privilège de le voir, complet, et d’être descendu dans la tourelle pour découvrir avec stupéfaction qu’il était en état de bataille, avec si j’ai bonne mémoire ses soutes remplies! Il était superbe, vraiment tout neuf. Complet, avec sa radio, ses outils, ses équipements divers, un porte-fût à l’arrière, et curieusement une conduite à droite. Et ce n’était pas du tout une restauration, tout au plus un « échange », il venait bien d’une unité des « Lanciers » de Marche...

Le succès de l’opération de 1985 avait un peu dédouané les pilotes lorsqu’ils faisaient joujou avec cet exemplaire, en parfait état de marche, fiable, et magnifique figure de proue pour leur quartier. J’ai cru savoir qu’ils ont même fait une énigmatique virée en ville pas très loin de là et pas très catholique non plus, et ont été par des manœuvres peu expertes dépaver le mess officier…… m’enfin, les chenilles avaient leurs coussins de caoutchouc, donc ce ne pouvait pas être grave...

La 1ère escadrille déménagea entretemps pour Florennes, la huitième quitta Bierset pour laisser place à la 42ème, et puis celle-là rejoindra Florennes et la base de Bierset sera remise à la Force terrestre pour l’aviation légère soit les hélicoptères. L’aéroport civil, encore petit aérodrome bien plus modeste que St Ghislain, greffé sur une piste militaire en 1985, est devenu depuis ce que l’on sait.

De mon côté, le civil était lancé dans la vie active. J’étais quand même fort proche du cadre de réserve, et initiateur d’un projet d’échanges transfrontaliers pour des exercices militaires au niveau officiers réservistes, qui a vu le jour ultérieurement. Dans ce contexte, le hasard m’amène en 1994 à organiser une visite d’officiers de réserve français sur la base de Florennes, et particulièrement du TLP. Il s’agit du Tactical Leadrership Program, école de formation similaire à Top Gun, pour l’Otan. Les meilleurs pilotes des nations NATO viennent à l’école à Florennes, avec leurs avions. Imaginez le décollage de 36 avions de toutes sortes et nationalités, tous l’un derrière l’autre ! Fantastique ! Cette journée-là se terminant sur cette note éblouïssante, avec mon ami français le Colonel Tabourin, nous décidons de faire une brève incursion dans les quartiers de la première escadrille, où je ne fus pas reconnu du premier coup d’œil…. Sauf quand quelqu’un m’a comparé avec une tête sur le tableau d’honneur. Permettez ma fierté, un peu que j’avais l’impression de rentrer à la maison!

Après les retrouvailles joyeuses, les mines se sont assombries, on m’apprit la nouvelle. Le drame était arrivé, celui qui était redouté lorsque ces chars étaient en service en unité. L’incendie ! ! !

En effet, il faut savoir que deux des batteries de ce char sont situées sur le dessus du moteur, juste sous l’arrière de la tourelle, mais juste au dessus des pompes à essences. Et ce qui devait arriver arriva, deux ans plus tôt, il semble qu’une fuite d’essence causa une stagnation de plusieurs dizaine de litres sous le moteur, et que soit une cigarette portée par la personne mettant les batteries en place soit une étincelle lors de leur branchement ait engendré l’incendie…. La raison exacte ne semble pas connue, ce pourrait être aussi l’électricité statique, le char n’étant pas mis à la masse...

Etant donc sur place, je demandai à voir le cadavre. Le blindé se trouvait dans son hangar depuis 3 ans, un abri « boozer » soit un abri entièrement étanche prévu initialement pour chaque camion-citerne de refueling avion. Lorsque le feu s’est déclaré, sans pouvoir arriver à l’éteindre par l’eau, il a été décidé de fermer les portes étanches et laisser le feu s’étouffer de lui-même. Le char n’avait plus bougé depuis. Je m’attendais à une catastrophe, à voir une masse informe, noire, bien plus vraie que dans les films.

On m’ouvrit les lourdes portes, je fus écrasé par le spectacle. Le char avait à peine place pour entrer, tout juste frôlait-il les parois. Son moteur était directement accessible, mais tout autour était calciné, le hangar et tout son contenu était noirci, son éclairage et l’installation électrique fondue. Le char noirci ressemblait plus à une carcasse inerte comme dans les champs de tir, il avait perdu sa fierté d’autrefois. J’entrais presque dans un caveau…. Pathétique !

En deux mouvements, mon acolyte et moi étions sur le capot arrière, et ouvrions une trappe sur les hélices. Je savais où je devais aller voir pour juger en un instant. Ma grande peur était qu’avec l’eau projetée sur le feu, le moteur se soit rempli par les orifices et se soit bloqué irrémédiablement.

Chance, comme dix ans plus tôt, les hélices ont fait en tournant entendre le soufflement caractéristique des flux d’air dans les cylindres. En examinant un peu plus loin le « cas », j’ai vite conclu qu’il était récupérable, qu’il n’y avait principalement que le circuit électrique et les caoutchoucs divers qui avaient brûlés ou fondus. Et par chance, uniquement dans le compartiment moteur. La tourelle et l’intérieur étaient intacts ! Ce n’était donc pas irréversible, et déjà dans ma tête les travaux commençaient. Par chance inouïe, de retour au bloc je me voyais remettre la bible, ma bible, le livre technique du char. Fébrilement je l’ai feuilleté, pour me rendre compte avec une agréable surprise, que c’était le livre que j’avais eu en main dix ans plus tôt, et que toutes mes annotations et feuillets supplémentaires de notes s’y trouvaient encore ! ! Incroyable !

Donc, voilà, nous avons un char incendié, dans un local où une souris ne pourrait pas circuler. Les arrangements qui furent pris étaient faciles, toujours parce que « les amis de mes amis… », et les pilotes ont beaucoup d’amis...

Le char a été conduit en remorque dans un hangar, le fameux D12. Nous sommes en 1994. Je l’y ai laissé jusqu’en 1997. Cette fois, je n’étais toujours pas loin du hangar de maintenance générale, mais j’étais à côté d’un vénérable F84, ancien avion à réaction, chasseur ou bombardier ou biplace, remisé là en pièces, dans l’attente d’un hypothétique piédestal en béton pour finir sa carrière dans un éternel et volontaire piqué.

C’était moins facile de travailler, parce que déjà un hangar n’autorise pas les grues, et donc il a fallu demander à avoir plusieurs fois un engin de traction pour le sortir, un Unimog en général, pendant qu’une grue était disponible pour enlever le moteur.

Je venais bénévolement le vendredi, pratiquement un sur trois, pour travailler. Nous avons enlevé l’épave du moteur, que j’ai nettoyé sur place avec un Karcher à eau chaude. Idem pour le compartiment moteur, entièrement enduit de suies grasses et collantes, qui avaient eu le temps de sécher pendant quelques années

Finalement, pas trop de dégâts, si ce n’est tous les caoutchoucs, et bien sûr tous les fils électriques. Les pompes à essences, juste au dessus de là ou le feu a pris, étaient fondues, déformées, irrécupérables.

Comme je savais par où attaquer, puisque bis repetita, les travaux ont vite pris une tournure encourageante. Mon moteur a été posé sur une grosse remorque, me permettant de travailler à l’aise. J’ai tout démonté, remplacé avec un coup de pouce de la maintenance, tous les caoutchoucs. J’y ai investi aussi en temps, pièces, parce que l’armée ne connaît pas tout, et n’a pas tout. Les travaux de reconstruction électrique et mécaniques ont en globalité été simples, j’ai même repeint le moteur pour le rafraîchir. Le compteur horaire sur le bloc était à peine déformé, et son aiguille affichait juste «74heures » de fonctionnement. C’est dire qu’il était neuf de chez neuf.

Nous avons bien eu à chercher quelques pièces, ou faire refaire quelques autres, ce qui nous a amené à faire dix ans après une nouvelle opération « commando » à Roccourt, à l’Arsenal. Et là, nous avons ri. Nous avions décidé de faire réparer les deux réservoirs, car ce bestiau-là ne carbure pas aux vapeurs d’essence, mais bien au seau. Donc, nous avons déposé les deux réservoirs de plus ou moins 400 litres chacun, mais tellement géométriquement difformes qu’ils prenaient toute la place dans une grosse camionnette. Lorsque un pilote et moi sommes arrivés à Roccourt, nous avons rencontré le personnel chargé de la réfection de ces citernes et réservoirs Leopard. Surprise, questionnement, personne ne savait ce qu’était un Patton. C’est quoi donc que c’est qu’un M47 Patton ????? Et nous d’expliquer naïvement qu’on en a un sur la base de Bierset. Re-éclat de rire. Et il y en a encore un chez les zavions ???? Un zavion à chenille peut-être ???

Inutile de dire que nous n’avons pas insisté, nous avions l’air de guignols. Les réservoirs sont donc revenus. J’ai aussi été faire une recce dans un autre camp militaire, Amay je crois, où là je me suis évaporé sur place le plus discrètement du monde ! ! J’ai failli faire rire un état-major en pleine discussion de travail dans un hangar…… sisi, çà aussi je l’ai fait. Je voulais des renseignements, et étant sous couvert d’un ordre de marche donc en uniforme d’officier de la Force Aérienne, me suis trouvé dans un hangar, avec pour contact « lui là-bas qui discute… »

Je visais un groupe d’individus kaki, dont un tenait une badine. J’aurais dû savoir…. . Je n’osais pas déranger, restant en arrière du groupe dont certains avaient vu le schtroumph bleu que j’étais. À un moment donné, celui qui avait une badine a fait un mouvement, j’étais derrière lui. Oups, un général-major ! ! ! ! Dangereux, ces bêtes-là. j’ai fait demi tour, l’air de feindre m’être trompé. J’ai disparu à la seconde, je me suis évaporé dans mes chaussures, j’ai décollé sur le champ à la verticale, ‘y valait mieux pas qu’on me questionne, ni que je vende la mèche de l’existence d’un char à un gradé pareil ! ! ! !

Bref, en définitive, pour la réfection de mes pièces, c’est le Musée de l’Armée section blindés qui m’a sauvé. En vérité, les 4 magnétos du char et les boosters avaient brûlé, fondu. Irrécupérable si ce n’est leur carcasse. Pourtant, j’avais espoir de sauver deux d’entr’elles. Il me fallait des vis platinées, et accessoirement deux boosters de réserve et un carbu. Je crois que mon interlocuteur était à l’époque déjà le Col Haussmann, patron du TankMuséum. J’ai pu avoir l’insigne privilège d’aller visiter Kapellen, où j’avais rendez-vous, et où j’ai reçu mes vis platinées. Je ne vous raconte pas ce que j’y ai vu, c’est la Mecque, la caverne d’Ali Baba, le nirvana des collectionneurs.

Mon fameux carbu et les boosters, je les ai eu, oui, mais là aussi ce fut sympathique, on me les a déposé dans une guérite du corps de garde de l’école royale militaire, où j’ai été les chercher en coup de vent. Comme au temps de la guerre froide, où l’on faisait ses coups en douce...

Toujours est-il que maintenant, tout était paré. Le moteur était remonté tant bien que mal, et après des essais difficiles, j’ai finalement dû remplacer les quatre magnétos par deux distributeurs de voitures BMW six cylindres, que j’ai truqué et pour lesquels une semelle m’a été tournée dans le civil suivant mon croquis pour les adapter. Et cela se révèlera efficace. En effet, maintenant j’avais de l’allumage, j’avais de l’essence aux carbus. Mon moteur sur sa remorque pouvait démarrer. Et il le fit. Nous l’avons sanglé complètement, injecté un peu d’essence dans les carbus, enfin un peu, je veux dire un verre d’essence dans chaque, contact, et aux troisième essai, bingo ! J’avais pris soin de faire une vidéo de ces essais, mieux vaut la voir, cela dit tout.

Nous avons remis le moteur dans le véhicule, mais comme nous n’avions pas de réservoir ni de pompes, j’avais disposé un réservoir d’auto de 40 litres en hauteur comme nourrice, sur le flanc de la tourelle, qui entre parenthèse fonctionnait entièrement. Chaque fois que je mettrais en route ou essayerais de le faire, j’avais pris l’habitude de faire venir par précaution les pompiers, avec un énorme engin d’extinction Faun, gros machin d’aérodrome capable même de pulvériser de la neige carbonique. On ne sait jamais. Là, je n’en ai jamais eu besoin. Heureusement.

Donc, moteur dedans, essais de mise en route. C’est curieux, mais moteur en place il a toujours eu plus de mal de démarrer. Je me suis aperçu par après que les carbus étaient défectueux, sans doute aussi imperceptiblement déformés par l’incendie. Puis j’avais supprimé les fameux étouffoirs, donc l’essence coulait à flot…. Pour le noyer. Néanmoins, il a démarré. Au début, pas bien. Puis chaque fois il tournait de mieux en mieux, mais toujours à haut régime. Impossible de le régler et le faire tourner à bas régime. Je pense que les systèmes de correction d’avance centrifuge des delcos BMW n’étaient pas compatibles, j’aurais dû les bloquer.

Maintenant qu’il tourne, devant la vidéo, je l’ai sorti, çà marche ! ! ! Il roule ! ! ! . J’ai fait quelques mètres dehors, mais juste sans l’arrêter, et je l’ai rentré tout de suite, tant qu’il allait. La vidéo nous a révélé deux superbes flammes bleues digne d’un chalumeau, aux sorties d’échappement libres bien sûr. Ah ce bruit envoûtant ! ! ! Nous étions déjà en 1997. Ma situation familiale difficile m’empèchera à l’avenir d’y revenir, et j’ai dû bien à regret tout abandonner sur place. J’ai cru savoir qu’au moins jusqu’en 2003 il est resté tel que je l’avais laissé, un ami travaillant justement à la maintenance avait un œil très régulier sur le hangar. C’est à l’avenir qu’il appartiendra de dire s’il revivra, je l’ignore, mais je suis prêt avec tout ce que j’ai fait dessus à recommencer, voire diriger une équipe de bénévoles pour le ressusciter à nouveau. Tout est possible. Je le sais.

Philippe CASTIAUX
Août 2006